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mémoire d'établissements

Hôtel Lepage

Hôtel Lepage

Mémoire d'établissements Horeca

Hôtel Lepage 

Robert L. Philippart 

L’ancien Hôtel Lepage (20, Avenue de la Porte Neuve) a présenté ses 13 chambres une dernière fois au guide national des hôtels, auberges et restaurants de l’Office National du Tourisme en 1972. Il suivait de près la destinée de l’ancien Hôtel Gaisser situé juste en face. Les deux établissements furent remplacés par des projets immobiliers dessinés par l’architecte Paul Retter. Le plan d’aménagement général « Pierre Vago » adopté par la Ville de Luxembourg en 1967 avait permis de transformer la ville haute en secteur central avec commerces, bureaux et logements. 

Ancienne maison de notables 

Si l’emplacement de l’hôtel connaît une longue histoire, celle concernant l’hôtellerie est plutôt brève.   

Depuis 1624 à 1871 (date de la démolition), la Porte Neuve, située à proximité de l’enseigne, assurait l’unique accès à la Ville haute par les plateaux. Ce fut au pied du futur Hôtel Lepage que partaient à partir du XVIIIe siècle les diligences pour Bruxelles, Trèves et Thionville. Ce fut à l’auberge « Aux 7 Souabes », respectivement l’Hôtel de l’Europe, situés en face de notre établissement, que descendaient des hôtes de marque, comme l’empereur Joseph II, Victor Hugo ou encore le musicien Frantz Liszt, alors que les messagers fréquentaient l’auberge Gindorf (ultérieurement Hôtel Gaisser) également située en face du futur Hôtel Lepage. 

L’immeuble qui formait le coin entre la rue Beaumont et la Porte Neuve en direction de la Grand’Rue, appartenait à la famille Reuter dont les enfants ont longtemps marqué l’histoire de la ville et du pays : François Reuter fut professeur chimiste à l’Athénée et président de la section des sciences naturelles à l’Institut Grand-Ducal ; Alphonse Reuter fut notaire, Jean Reuter fut fabricant de tabacs. Le docteur Joseph-Michel Reuter (1801-1873) époux de Julie Julia (1818-1901), héritier de l’immeuble « Reuter-Julia », était membre de l’assemblée des Etats en 1858, membre du collège médical, membre du jury national de médecine. Michel Reuter s’était engagé sur le plan scientifique dans le combat contre le choléra. Il avait contresigné une pétition au Roi-Grand-Duc Guillaume III en 1872 pour l’appeler à veiller à l’indépendance du pays.  

La propriété présentait une contenance de 1,4 a avec une façade de 24m en front de rue et 16 chambres. Malgré la situation d’angle, l’immeuble renfermait une cour et une arrière maison avec grande cuisine. Au rez-de-chaussée se trouvaient deux grandes salles servant de commerce. Le premier étage renfermait 4 chambres, dont une cinquième était installée au „Hinterhaus“. Le deuxième étage proposait six chambres, dont une installée dans la maison arrière. La toiture mansardée présentait à son tour 6 chambres. La grande cave voûtée permettait de conserver des légumes et du vin dans des locaux séparés.   

Leick Warnimont et Kraus-Koenig 

De 1867 à 1871, le rez-de-chaussée de l’immeuble qui hébergera l’Hôtel Lepage, servit à l’enseigne « Leick-Warnimont » de magasin d’étoffes et de confection pour dames. En 1873, Joseph Kraus-Koenig y établit son magasin « La Nowégienne » proposant la vente de tabourets et poufs, coussins turcs pour canapés, un grand assortiment de tapis, ainsi que des étoffes pour ameublements, des couvertures de voyage et des articles literie. En 1879, son entreprise prit le nom « Aux magasins réunis », enseigne spécialisée dans la vente d’articles de literie, d’ameublement, de blanc, proposant notamment des lits en fer, des sommiers et des matelas. En 1883, il compléta les rayons d’une lustrerie, d’une section pour landaus, canapés et couvertures pour chevaux. A partir de 1893 l’établissement pouvait porter le titre de « fournisseur de la Cour ». Kraus-Koenig avait meublé en partie le Convict épiscopal et il n’était pas rare de le voir fournir des meubles comme décors à des spectacles de théâtre. Sa coopération fut soigneusement mentionnée dans les programmes de ces soirées. Le locataire resta à cette adresse jusqu’en 1907. 

Hôtel Hansen Muller 

A partir de 1907, le bel immeuble accueillait le Café d’Edmond Alexandre Hansen. Le liquoriste avait épousé en 1905 Virginie Muller avec qui il entendait exploiter l’Hôtel Hansen-Muller. Edmond Alexandre Muller finit par acquérir l’immeuble de la famille Reuter-Julia en 1919. La grande salle au rez-de-chaussée se prêta désormais à des ventes publiques d’immeubles, des réunions et des fêtes.  

Le nouveau propriétaire soumit l’immeuble à une profonde rénovation, lui accolant une façade aux crépis avec décors historisants. A l’angle formé par la rue Beaumont et l’avenue de la Porte Neuve il surmontait l’immeuble d’une coupole à lucarnes couronnée d’une flèche. Une chambre spacieuse était aménagée dans cet espace nouvellement créé. 

Lepage
Photo Schmitz Henry 1972 © photothèque de la Ville de Luxembourg

Des requêtes et des requêtes 

Edmond Hansen-Muller était élu en 1920 président du Wirteverband. En 1924, les brasseurs et cafetiers se réunissaient à plusieurs reprises chez Hansen-Muller afin de débattre sur l’instauration de prix unitaires pour la bière. Les discussions furent très animées et la question d’une grève des cafetiers fut même évoquée. Il fallait définir des standards de brassage, suivre l’évolution des prix de revient des matières premières et de tenir compte de l’inflation. Tous ces facteurs conduisaient à une hausse importante des prix auprès des brasseurs. Le débat tournait pour les cafetiers sur le prix de vente de la chope au client. Dans le cadre de ces débats et négociations qui s’étendaient jusqu’en 1926, Edmond Hansen-Muller n’hésita point à faire part de ses positions dans la presse de l’époque, ce qui lui valut d’ailleurs un procès en justice. En 1927. Edmond Hansen  représentait les cafetiers luxembourgeois à Blankenberghe au Congrès des Hôteliers et Restaurateurs belges. Il défendait les intérêts de son métier dans la question de l’envoi d’alcool du Grand-Duché. Comme président de l’association des cafetiers luxembourgeois et administrateur de la foire commerciale de Luxembourg, il eut également l’honneur d’inaugurer avec les autorités publiques à partir de 1922 la foire commerciale « Mustermesse ». 

En 1920, un comité d’action dressant l’inventaire des entreprises allemandes ne coopérant pas avec leurs fournisseurs luxembourgeois fut fondé au Café Hansen-Muller. Cet inventaire devait aider le Gouvernement dans ses démarches auprès des instances allemandes durant cette période économiquement difficile pendant laquelle le Luxembourg était sorti de l’union douanière avec l’Allemagne et que le traité de l’Union Economique belgo-luxembourgeoise ne fut pas encore en vigueur.  

En 1923, à deux pas de l’Hôtel Hansen-Muller, François Anen avait installé au N°28, à la rue Beaumont, le premier émetteur radio. En 1924 ses ondes avaient réussi à atteindre l'Amérique pour transmettre des émissions réalisées avec un petit orchestre privé. En 1926 s’était constitué l’Association Radio Luxembourg. En décembre 1927, cette association se réunit chez Hansen-Muller pour dresser un catalogue de revendications au Gouvernement consistant dans un appel de soutien pour la mise en place d’une station radio diffusant non seulement des émissions de divertissement, mais également à caractère éducatif. Le même groupe proposa d’organiser dans le cadre des programmes scolaires des cours sur la fabrication de postes radio et des cours de ce type facultaires pour les adultes. Enfin, ils réclamaient des solutions techniques afin d’éviter les dérangements lors de la diffusion d’émissions radiophoniques. 

La section „art et littérature“ du parti ouvrier se réunit également chez Edmond Hansen-Muller pour préparer un dossier portant la création d’une caisse nationale des lettres et des beaux-arts, calquée sur les modèles belge et français.  

Pendant des années, l’association nationale des charpentiers tint régulièrement sa fête patronale et son assemblée générale avec dîners copieux à l’Hôtel Hansen-Muller. Ici également de nombreuses requêtes furent adressées au gouvernement en vue de la protection des intérêts et du développement du métier. 

Taverne de la Bourse, Restaurant Lamock-Blau 

Comme pour la plupart des hôtels de la ville haute et du quartier de la gare l’Hôtel Hansen-Muller logeait des représentants d’entreprises étrangères en déplacement professionnel au Luxembourg ou des indépendants étrangers cherchant du travail au pays. Ainsi, „Fridolin Kuleman früher lange Jahre Obermonteur der Gasmotorenfabrik Deutz“ était installé en 1923 à l‘hôtel. Parmi les clients de l’hôtel on trouve encore des employés qui souhaitaient s’établir dans la capitale en cherchant un logement définitif. 

A partir de 1930 le Café est exploité sous la dénomination de « Taverne de la Bourse ». La bourse de Luxembourg avait été créée par la loi du 30 décembre 1927. En 1928, la société avait acquis l’ancien Hôtel Metropol en face de chez Hansen-Muller à l’avenue de la Porte Neuve, pour le transformer en salle de bourse.  Edmond Hansen (1880-1931) avait été décoré des Palmes d’or de l'Ordre de la Couronne de Belgique pour ses mérites sur le plan économique.  

Suite à son décès survenu à l’âge de seulement 53 ans, fin mars 1931, l’établissement fut repris par Edmond Lamock-Blau dès le 1er août. Celui-ci avait procédé à une modernisation des chambres. Comme les hôtels de la gare il offrait, dans ce quartier d’affaires, « Beste Küche zu jeder Stunde ». Il servait la bière de Diekirch et proposait le samedi soir le « Freibier » comme attraction.  

Le « Restaurant Lamock-Blau proposait à ses clients, majoritairement constitués d’employés des sociétés et compagnies logés à proximité, dont la compagnie des chemins de fer Prince Henri, ainsi qu’aux nombreux étudiants des menus du jour à prix fixe. Il offrait également la pension complète à ses clients de l’hôtel qu’il continua à exploiter sous le nom de « Hansen Muller ».  

Lamock (1901-1942) quittait son enseigne à l’avenue de la Porte Neuve en 1938 pour accepter le poste de gérant du casino à l’établissement thermal de Mondorf-Etat. A son départ, l’établissement « Hansen Muller « proposait 16 chambres avec eau courante froide et chauffées individuellement par des poêles. La place du Théâtre permettait aux clients de garer leur voiture. Virginie Hansen-Muller, veuve d’Edmond Hansen, n’entendait plus investir dans l’entreprise, comme leur fils unique, Emile, successeur potentiel de l’établissement est décédé en 1932 à l’âge de 22 ans. 

Edmond Lamock avait vendu son fonds de commerce à Jacques Scheuern, garçon au buffet de la gare. Celui-ci reprit l’enseigne « Hansen Muller / Taverne de la bourse » à partir de mai 1938. Il servait de la bière Funck-Bricher et proposait une cuisine de plats froids et chauds.  

Jacques Scheuern-Schneider continua à son tour à exploiter l’hôtel sous le nom de « Hôtel Hansen-Muller » jusqu’en 1946. La maison pouvait maintenir ce nom durant l’occupation. Dès la libération en 1945, la section de la Ville de Luxembourg de l’association des maquisards se réunit à l’Hôtel « Hansen Muller ». 

Hôtel Lepage 

La propriétaire de l’immeuble, Viriginie Hansen-Muller est décédée en mars 1946 à l’âge de 69 ans. Au mois d’avril, les héritiers procédaient à la vente de l’établissement. Le rez-de-chaussée offrait un espace commercial, une salle à manger, une cuisine, des toilettes, un lieu de stockage et une buanderie. Les 15 chambres d’hôtels se répartissaient sur les deux étages et les mansardes. Les combles et les greniers offraient d’importants locaux de stockage.  

Le cafetier Pierre Lepage-Ewen exploitant du „Café du Puits Rouge" à la Grand’Rue acheta la propriété et la soumit à d’importants travaux de modernisation. Chaque chambre disposait maintenant de l’eau courante froide et chaude. L’établissement fut raccordé au chauffage central. Dans un cadre complètement rénové Lepage et son épouse Marie Ewen servaient au Café-restaurant des bières Henri Funck. Leurs buffets froids s’adressaient toujours à une clientèle d’employés et d’étudiants. „Studenten und Beamten  finden gutes Mittagessen sowie volle Pension, ohne Trinkzwang » (Luxemburger Wort 31 août 1949).  

Pierre Lepage est décédé en 1957 à l’âge de 58 ans. De ses trois enfants, Rudy P. Lepage et son épouse Yvette Mostert allaient reprendre la gestion de l’hôtel-restaurant. Rudy avait travaillé à l’Hôtel l’Aiglon à Chicago un établissement de première classe fondé par un Luxembourgeois, Teddy Majerus.  Aux Etats-Unis, il avait combattu dans les rangs de l’armée américaine, puis était stationné à l’US Base à Metz. Après son service militaire, il retournait à Chicago où il embrassa la carrière de chef de cuisine au Restaurant « Red Carpet ». Suite au décès de son père, Rudy et son épouse retournaient au Luxembourg pour reprendre en 1959 l‘établissement parental. Le couple Lepage-Mostert soumit l’hôtel à une rénovation complète en 1960. Rudy Lepage ne servait pas que de la bière Henri Funck dans son établissement, mais également les meilleurs crus de la Moselle, ce qui lui valut son adoubement au sein de la Confrérie Saint-Cunibert. Le couple exploitait le restaurant jusqu’au 4 janvier 1964. L’hôtel fonctionnait à partir de cette date comme garni. Lepage ne rouvrait sa cuisine qu’à titre exceptionnel pour des groupes avec lesquels il entretenait une relation personnelle.  

Au moment de la fermeture de la maison, en 1973, tout le quartier était parti en chantier. La construction du Forum Royal, du Centre Bourse, du Centre Beaumont entraînait une véritable gentrification de cette partie de la ville alors un peu désuète, recherchée par des travailleurs immigrés. Après la fermeture de l’établissement, Rudy Lepage pouvait entamer une nouvelle carrière au sein de l’Aérogolf qui ouvrait la même année.  

Aiglon
L’Aiglon Restaurant, Chicago : luncheon, dinner, super, music, dancing @ C.T.American Art Postcard Register USA Office

 

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